Faut-il aimer la France ? Analyse de l'interview de Danielle Obono, député insoumise sur RMC

Le passage de Danielle Obono, fraîchement élue députée France Insoumise dans les Grandes Gueules de RMC a suscité une vague d’indignation avec tout le degré de mesure et de pondération que l’on connaît dans pareils cas. Elle a été interpellée sur son rôle de signataire d’une pétition visant à défendre le groupe ZEP pour son titre « Nique la France » pour motif de défense de la liberté d’expression comme liberté fondamentale érigée en principe constitutionnel en 1946.

 

Au premier abord, l’annonce peut paraître assez maladroite étant donné sa nouvelle fonction de député de la Nation (qu'elle représente désormais) et sur la défense du champ lexical utilisé dans la chanson. On est loin des fumées baudelairiennes mais là n’est pas l’essentiel.

 

Ce soutien à la liberté d’expression est transformé par les intervieweurs en « caution » pour la chanson (ce qui n’est pas dit). La liberté d’expression permet à tout individu d’exprimer ses opinions. Comme toute liberté, elle n’est pas absolue et connaît des limites que sont l’atteinte à la vie privée et au droit à l’image, l’incitation à la haine raciale, ethnique, religieuse, l’apologie des crimes de guerre ou du terrorisme, les propos discriminatoires à raison d’orientations sexuelles, d’un handicap, le négationnisme, les propos diffamatoires, l’injure publique, le secret professionnel ou encore dans le cadre du devoir de réserve des fonctionnaires et assimilés.

 

Le titre de la chanson et ses paroles en question entrent-ils dans le cadre de ces limites? Il ne semble pas puisque même l’injure publique est destinée à une personne physique ou à un groupe d’individu si mes sources sont correctes.

« La France », État, est de facto exclue de ce principe à l’exception de l’outrage au drapeau et à l’hymne national réprimés par la Loi.

Les mêmes s’indignent-ils avec la même virulence sur les chansons de Renaud (pour ne citer que lui, avec la popularité qu’on lui voue) avec «Où est-ce que j’ai mis mon flingue?» ou «Hexagone»?

 

La seconde partie de la polémique me semble encore plus représentative de l’ambiance générale franchement inquiétante de la réflexion en quelques secondes dopée à l’émotion dans une époque qui nous suggère de réfléchir de manière condensée, synthétique ou en 140 caractères.

 

« Dîtes-vous: Vive la France! ? » rétorque le journaliste. Mais en raison de quoi? Pourquoi vive la France? Est-ce une évidence? Qu’entend-on par-là? Vive « nous »? Même en filigrane, ce n'est pas clair.

 

L’amour est un sentiment intime, motivé, profond qui ne tend pas à devenir une obligation. Ce n’est pas ce qui est demandé aux citoyens. Ce n’est pas le degré d’amour qui fait un bon citoyen. Ce qui définit la nation française, ce n’est pas sa culture (elles sont diverses et celles qu’on pourrait réduire à ce qui constitue la tradition "française" dépasse nos frontières, nous serions bien en mal de définir la culture française), ce n’est pas sa langue (elle est parlée ailleurs qu’en France), ce ne sont pas ses coutumes (qui sont communes à d’autres nations ou territoires, pour ne citer que les fêtes religieuses).

 

Ce qui définit la nation française, c’est la Loi et la devise «Liberté, Égalité, Fraternité». Ce que nous avons TOUS en commun dans ce groupe instauré. Quoi d’autre?

 

Ne pas aimer la France pour toutes les raisons imaginables ET respecter la Loi n’a rien de choquant, n’en déplaise aux idolâtres de la nation. Mieux vaut ça que l’inverse qui est beaucoup plus courant.

 

Plus largement et dans le prolongement, lors des entretiens d’embauche, il est souvent mis en avant devant le recruteur le fait que nous aimons notre travail (même si ce n’est pas toujours le cas). C’est une erreur de jugement dans le placement du curseur. Il devrait être complètement égal à l’employeur que nous aimions notre métier (même si le caractère psychologique et moral est relativement important mais doit être géré par l’individu lui-même en premier recours).

 

Ce qui importe est que nous répondions aux attentes en termes de missions. Dans le cadre de l’attention portée à des choses, à des concepts ou à des entités, l’amour ne vaut que pour celui qui le ressent. Idem pour le désamour.

 

Il devrait être complètement égal à la Nation (donc ses représentants) que nous l’aimions. Ce qui importe est que nous respections les règles fixées par la communauté ; l’amour n’en faisant pas partie, fort heureusement. L’amour forcé, ce n’est pas de l’amour. Bien sûr, rien ne vous interdit de l’aimer mais que la liberté de jugement soit laissée à tous comme elle vous est permise.

 

Dans ces temps tourmentés où l’identité prend le pas sur le savoir, faute de repères solides, la question de « l’amour de la France » et de la « fierté d’être français » se développe et choque massivement lorsqu’un individu n’adhère pas à ce principe.

 

Déplaire, soulever l’opinion en sa défaveur lorsque l’on n’adhère pas à un principe de raison peut s’entendre mais soulever l’indignation sur un principe qui ne se justifie pas, c’est pour le moins problématique.

 

Pourquoi peut-on ne pas aimer "son" pays? De multiples causes en sont l’origine (du fait de l’objet ou du sujet mal-aimé comme du fait de l’individu qui s’exprime). Dans ce cas, ce n’est pas tellement le pays en lui-même qui est rejeté mais davantage un de ses axes forts, son pouvoir régalien, ses institutions, l’intervention de l’État en interne comme à l’extérieur, le sentiment (ou l’expérience) de marginalisation de l’individu, etc.

 

« La France » est un terme générique pour désigner un ensemble de causes provocant l’amour ou le désamour (ou l’indifférence la plupart du temps).

 

Et surtout à la fin, l’amour n’est pas un prérequis pour s’inscrire dans la communauté. Mais pour celui ou celle qui aime la France dans son ensemble, c’est tant mieux pour lui ou elle. Sachez néanmoins que cet amour ne peut être que totalement désintéressé, dans le sens « je me réjouis de l’existence de » chez Spinoza (l’amour est joie). C’est un très bon point de jouissance morale pour celui qui le pense mais n’attendez rien en retour.

 

Pourquoi peut-on ne pas être fier d’être français? Parce que la fierté est un sentiment qui n’a rien à voir avec le fait d’être français (ou autre). Être français, c’est tout au plus une chance, eu égard de la situation de nos concitoyens du monde.

 

Ça peut aussi être un fardeau si on s’attache à d’autres valeurs, si on a d’autres systèmes politiques ou économiques de référence, si on est un fervent opposant à la mise en place du consentement à l’impôt par exemple qui est, certes, une règle commune mais qui n’est pas acceptée en théorie par tous. En pratique, oui puisqu’il y a le respect de la Loi. Être français peut aussi nous donner une conscience de solidarité ou un devoir d’entraide en direction des peuples moins chanceux par le tirage au sort qu’est la vie.

 

Généralement, on considère qu’être français, c’est plutôt un avantage comparatif important. Naître au Kosovo ou en Afghanistan est incontestablement plus difficile. Ce hasard la vie fait-il de nous une moins bonne personne?

 

Comment est-on français? Par la naissance et la naturalisation.

 

Qu’est-ce que la fierté personnelle? Je la définirais de la manière suivante: «sentiment de contentement empreint d’estime relatif à nos actions ou à la résultante de nos actions».

 

La naissance permet-elle d’avoir un sentiment de contentement empreint d’estime? Par rapport à nos parents, surement mais pas du tout par rapport à nous même. Par conséquent, la naissance ne dépendant pas de nous, nous ne pouvons pas en être fier. Il n’est donc pas cohérent de dire « je suis fier d’être français » ou tout autre nationalité par ailleurs. Comme il paraîtrait sans fondement de dire « je suis fier d’avoir les yeux bleus », « je suis fier d’être blond » ou encore « je suis fier de mesurer 1m85 ».

 

Ce qu’on est, qui ne résulte pas de notre responsabilité personnelle, ne peut pas être l’objet de la fierté.

 

La naturalisation est une démarche administrative ne découlant pas d’une action de construction de l’être et ne permet pas de dire qu’on en est fier puisqu’il n’y a pas de caractère de supériorité à être ressortissant d’un pays plus que d’un autre. On peut simplement être heureux de faire partie de la communauté dans laquelle on aspire à vivre et non pas à laquelle on appartient, ce qui réduirait à néant la liberté des êtres humains et érigerait la nation (mais pas seulement) en prison morale (avec des contraintes physiques).

 

L’autre pendant de l’expression est "d’être français". Dire "être français" n’en définit pas le contenu. Bien entendu, l’Histoire de France est peuplée de bons passages, de nombreux français célèbres furent de grands hommes, des progrès admirables ont vu le jour dans notre pays comme le contraire.

 

Bien sûr que les œuvres ou le patrimoine constituent un trésor incroyable que personne ne dénigre. Mais être français, est-ce tout ça à la fois? Est-ce en être l’héritier (du bon comme du mauvais)? Ou n’est-ce pas plutôt et seulement une nationalité parmi d’autres (se définissant et s’obtenant ici et là en fonction des lois ordinaires ou constitutions des pays)?

 

Par la mise en avant d’une nationalité, il y a forcément une logique d’opposition qui est politique et philosophique indubitablement.

 

Il ne s’agit au final que d’un système d’organisation des individus (à moindre échelle nous concernant; les communes, les départements, les régions). Dire que nous n’aimons pas notre ville ou notre région serait-il vécu comme un outrage? C’est exactement le même précepte.

 

Les nations découlent de notre Histoire mais n’ont aucune justification autre que l’action de l’Homme. Ce n’est pas un ordre naturel. Et comme tout ordre qui n’est pas naturel, il est contestable ; le plus célèbre exemple est celui de l’État.

 

Peut-on contester l’État, sa forme, sa légitimité, ses moyens d’actions? Absolument. Dans le respect des lois. De la Loi.

 

Peut-on ne pas aimer notre pays, ses paysages, son Histoire ? Absolument. Dans le respect des lois. De la Loi.

 

Même les évangiles, parfois, souvent chers à ceux qui défendent l’idée de Nation, ne traitent pas de la question du découpage des groupes d’individus.

 

Il apparaîtrait paradoxal de caractériser une défiance ou un désamour envers la France comme un blasphème. Sauf si dans une nation majoritairement composée d’êtres non croyants, la part de repères et de sacré ne se retrouverait plus dans le religieux ou le divin mais dans tout ce qui se rapproche de la nation.

 

Ce qui fait France comme ce qui fait n’importe quelle nation du monde est la résultante de notre Histoire et en particulier des guerres qui ont façonné et modifient encore les frontières du globe.

 

La question ne doit pas être prise à l’envers et ne doit pas être traitée dans la seule lecture d’une notion de nation indépassable, qui serait pour nous tous un plafond universel pour lequel nous devrions tous être unanimes.

 

Les polémiques récurrentes sur l’identité et la nation, l’amour et la fierté n’ont aucune raison d’être, autrement que dans l’esprit de ceux qui souhaitent imprégner dans les têtes ce qui est de l’ordre de la conviction personnelle pour le transformer en principe général et indiscutable.

 

 

 

 



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