La protection sociale en proie au libéralisme

Depuis bon nombre d'années, on parle de la crise de l'Etat Providence. La notion est contestable et ne date pas d'hier. Elle a été utilisée pour la première fois par Emile Ollivier, député à la fin du XIXème siècle pour critiquer les premiers projets d'introduction de la politique sociale en France. L'Etat voudrait selon Monsieur Ollivier se "substituer à la providence divine" (protéger les individus contre les aléas de l'existence). Il s'agit d'une vision très libérale déjà dans le sens où l'individu décide.

 

La société serait une agrégation d'individus responsables de ce qu'ils leur arrivent. Etre pauvre serait la résultante d'un choix ou du destin. L'Etat vise à corriger les inégalités des destins individuels. En tout état de cause, l'Etat Providence n'est pas neutre politiquement. Est-il pour autant en crise? Il faut se méfier des prénotions. Si tout est en crise, rien n'est en crise. Pour faire exister un phénomène, il faut le dramatiser. La crise économique dure depuis presque 40 ans. Ce n'est plus une crise mais une reconfiguration des rapports.

 

Face à la crise et notamment dans le cadre de la protection sociale, deux visions s'affrontent: les néolibéraux menés par Von Hayek avec la théorie de l'effondrement et les marxistes.  

 

Plutôt qu'un effondrement, il y a eu un essor à partir de 1981, une intensification des dépenses sociales. Il n'y a rien de plus difficile à réformer qu'un système de protection sociale, qui est de nature à être dans l'inertie, c'est un objet immuable.

 

La première offensive idéologique a été portée là où les protections sociales sont les moins développées aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne respectivement par Reegan et Tatcher. Pour eux, la protection sociale représente une "désincitation au travail" par le prétexte d'une protection sociale trop généreuse. Aux Etats-Unis, il est considéré comme immoral de récompenser le "non-travail". Il existe un filet de sécurité minimal pour ne pas sombrer dans l'extrême pauvreté.

 

En France, huit millions de personnes consomment 60% des dépenses de santé. La création de "Medicare", petit équivalent de l'assurance maladie aux Etats-Unis, par Reegan a été considéré comme du communisme au cœur du pays de la libre entreprise.

 

Un principe est essentiel en politique sociale: plus un programme est universel, moins il est réformable. Un programme pour les pauvres est destiné à devenir un pauvre programme. La fausse bonne idée est donc d'aider ceux qui en ont le plus besoin puisqu'on remplace des "droits" par des "aides", qui sont conditionnelles et donc pas automatiquement allouées.

 

Existe t-il plusieurs façons de faire du social dans les pays développés? Il existe les systèmes dits "béveridgiens" et les systèmes "bismarckiens". Le réflexe est de penser que la protection sociale est une conquête ouvrière. C'est plus complexe.

 

Bismarck veut désamorcer le métabolisme des classes et donc la mobilisation de la classe ouvrière. C'est pourquoi les communistes étaient opposés à ces systèmes de protection sociale. L'objectif était donc de faire gérer les caisses par les responsables des ouvriers et des patrons. Le travail, par là même, donne accès à des droits sociaux. C'est le problème du prolétariat qui n'a que son offre de travail pour vivre. Le but est de construire l'équivalent d'une propriété (avantage des bourgeois) pour les salariés (propriété sociale).

 

Dans un système bismarckien, trois piliers permettent de soutenir la cohérence d'ensemble : les services publics, la sécurité sociale et le Droit du Travail.

 

Le système beveridgien repose sur la règle des "3U":

- unité : un seul système

- universalité : pour tout le monde

- uniformité : le même montant pour tout le monde

 

Chez Beveridge, deux voies se distinguent : le modèle social démocrate et le modèle libéral résiduel, alors que chez Bismarck, la valeur mise en exergue est le corporatisme conservateur. Le système bismarkien est conservateur dans la mesure où il ne change pas la structure sociale. Les services publics ont un effet correctif plus important que les prestations en espèces (plutôt notre système).

 

La sociale démocratie est ancrée dans une logique de redistribution avec comme accès la citoyenneté.

 

Le système libéral définit l'accès aux prestations sur le besoin et la pauvreté en condition d'accès. Ce modèle est davantage ciblé sur une catégorie de la population où le montant des prestations allouées demeure très faible.

 

Le corporatisme conservateur protège des risques sociaux avec le mécanisme des cotisations dont la condition d'accès est l'emploi. Le système bismarckien est conservateur dans le sens où il ne change pas la structure sociale établie.

 

Dans une société libérale, l'individu est responsable de son accident du travail, que ce soit le salarié ou l'employeur. Il y a constamment un responsable désigné.

 

Dans une société sociale, le collectif protège les individus qui la composent. Le responsable, c'est la société. Dans le modèle suédois qu'on peut qualifier de social démocrate, les prestations sont plus importantes pour les chômeurs. C'est une vision de l'individu. Dans les modèles scandinaves en général, l'individu est un citoyen quand il est un travailleur dans les modèles anglo-saxons.

 

Pour  les employeurs, les "cotisations salariales" sont transformées en "charges sociales". La guerre des mots a été gagnée par les employeurs. Il ne faut jamais oublier que les cotisations sociales sont du salaire différé.

 

Le discours continuel de baisser les charges sociales doivent trouver une traduction immédiate dans votre esprit: on vous indique qu'il faut baisser les salaires!

 

La séparation même des cotisations salariales et patronales est une absurdité. Tout est salaire.

 

Dans un monde où les systèmes fiscaux, notamment le notre, sont très injustes (plus on est pauvre, plus on paye en proportion), plusieurs question se posent légitimement: peut-on voir une convergence des systèmes de protection sociale dans les pays développés vers le modèle libéral résiduel ? Peut-on avoir un système "généreux" lorsque les frontières s'abaissent?

 

Margaret Tatcher répond : "There is no alternative!"

 

Les politiques de redistribution seraient plus ou moins condamnées à terme. L'idée est complètement fausse. Il n'y a pas de déterminisme économique. Les néolibéraux partagent avec les marxistes l'idée que l'économie gouverne le monde.

 

Les réformes ne sont pas des adaptations mécaniques mais des choix politiques.

 

Toute la littérature scientifique montre qu'il n'y a pas d'aspiration à un modèle libéral résiduel. Les réformes sont des réponses nationales à des problèmes nationaux.

 

Un système de protection sociale change très lentement.

 

En 1945, le pays était face à un choix crucial, quel modèle adopter? Le choix va avoir pour impact d'influencer toute la trajectoire. Plus on avance dans le temps, plus il est difficile de revenir en arrière.

 

C'est la métaphore du Titanic. Celui qui voit l'iceberg sait qu'il ne pourra pas changer à temps la trajectoire et que le bateau le percutera.

 

Il n'y aura jamais de révolution en politique sociale.

 

La thèse néo-institutionnaliste indique qu'il est possible de remettre en cause les choix de 1945 ou toute autre thèse de changement progressif.

 

Ça ne peut changer de trajectoire que par l'enchainement de réformes de changement progressif.

 

Le système de retraites est un bon exemple. En 1945, il a été décidé de procéder à la mise en place du système par répartition. Les cotisations sont immédiatement transformées en pensions de retraites.

 

Il a été rapidement évoqué qu'il fallait aller vers un système par capitalisation où chaque individu épargne une partie de son revenu et voit le versement du capital au moment de la retraite. Le problème évident est le double paiement pour la génération en transition.

Le changement se fait à petites doses. Chaque épargne pour la retraite sera défiscalisée. La durée de cotisation augmente, on passe des 10 meilleures années aux 25 meilleurs années (qui intègrent donc les pires) dans le calcul du montant de référence (et donc baisse du taux d'indexation) etc..

 

La répartition rompait le rapport entre la pauvreté et la vieillesse. Le système par répartition se rétracte et les individus anticipent la décrépitude du système et la baisse des pensions par la constitution, au delà de la pension de base, d'une manne capitalisée et d'une retraite complémentaire pour les plus aisés. Ce procédé épouse parfaitement les logiques inégalitaires du salariat.

 

Dans les années 1990, on observe un changement de la nature du système de protection sociale avec l'introduction des recettes fiscales (substitution partielle de la CSG par rapport aux cotisations sociales). L'assiette est plus large que celle des revenus du travail.

Entre 1982 et 1986, la modification profonde du partage de la valeur ajoutée se fait au détriment des salariés. La période de rigueur salariale oblige à trouver d'autres assiettes et notamment celle du capital. La CSG prend acte de ce nouveau partage.

 

La mode actuelle est celle de la "TVA sociale" qui consiste à basculer les cotisations patronales sur du fiscal. Le but est d'appliquer le principe suivant : "à prestations universelles, financements universels". La masse salariale dépend trop de la conjoncture économique et les cotisations sociales trop élevées assomment les entreprises. Cette donnée permet l'introduction et l'accentuation progressive de la fiscalisation des recettes de la protection sociale.

 

Une modification des ressources induit une modification des pouvoirs (et moins d'implication des partenaires sociaux).

 

À titre d'exemple, si la TVA passe de 20% à 22%, ce mouvement provoque de l'inflation et donc une baisse du pouvoir d'achat. L'assiette se réduit quand le revenu progresse (la propension à consommer diminue).

 

Puisqu'on ne peut plus augmenter les cotisations sociales, on envisagerait de les baisser voire de les supprimer et de les remplacer par de la fiscalité. C'est ainsi que la cotisation est vue comme une charge. Le rapport au salaire diminue peu à peu. La baisse des cotisations provoque un fléchissement du produit global que L’État doit compenser à l'euro près. Par les recettes fiscales.

 

La réforme structurelle nous éloigne de l'héritage de Bismarck pour aller voir celui de Beveridge.

 

La réforme des retraites de 1993 est la première grande réforme structurelle en la matière dans une période de récession économique et d'aggravation des déficits.

 

On a dit : " il est temps de régler la réforme des retraites". La question n'est toujours pas réglée.

 

Pour contre, il ne s'agit pas de réformettes comme on a voulu nous le présenter. Les conséquences visibles est l'acheminement vers une baisse de 20% minimum à l'horizon 2040 du taux de remplacement pour les carrières complètes (rapport entre le salaire et la pension de retraite). La paupérisation des retraités est en marche et retisse le lien autrefois rompu entre vieillesse et pauvreté.

 

Les patrimoines accumulés par la génération du baby boom ont permis de compenser les baisses des pensions. Malheur à ceux qui n'ont pas de patrimoine.

 

La capitalisation est une épargne pour soi gérée par les fonds de pensions qui placent sur les marchés financiers. Quand le salarié arrive à la retraite, il possède des actions. Les dividendes sont payés avec un taux moyen de 15% sur la valeur ajoutée produite par les salariés de moment (c'est un droit de tirage).

 

Par conséquent, des risques objectifs sont à craindre comme des licenciements ou des baisses de salaires. En tant que salarié, on a intérêt à ce que le salaire soit haut, en tant que futur retraité, on a intérêt à ce que le salaire soit bas. On a inventé l'auto exploitation!

 

La crise aurait calmé les ardeurs des défenseurs de la capitalisation. La réforme des retraites est toujours un choix de société, l'argument démographique n'est pas toujours fondé.

 

La France est le pays le plus dynamique démographiquement en Europe. Il n'y a pas de fatalité. En Espagne, la compensation se fait par l'arrivée de jeunes immigrés. Ce qui compte réellement est le rapport entre le nombre d'actifs en emploi et le nombre de retraités. Le problème majeur est à la fois le chômage de masse et à la fois le niveau des salaires.

 

La crise économique a creusé les déficits sociaux par la multiplication du nombre de chômeurs. L'argument démographique a occulté le choix qu'on a fait en faveur du chômage qui permet de discipliner les salariés pour les revendications sur la richesse.

 

On maintient artificiellement bas les salaires dans la valeur ajoutée brute.

 

Pour les retraites, il y a quatre types de leviers:

 

- Le premier repose sur les taux de cotisations qui constituent réellement un sujet taboo. Il est hors de question de les augmenter pour les employeurs puisque cela reviendrait à dire de revoir le partage de la valeur ajoutée en faveur des salaires.

La France est pourtant le pays où les gains de productivité sont les plus élevés. Ils sont accaparés par les profits.

 

- Le deuxième serait de baisser les pensions de retraite. L'argument de sa non-utilisation est politique. L'électorat libéral français est fortement représenté chez les personnes âgées.

 

- Le troisième est de repousser l'âge légal de départ à la retraite et de pénaliser toujours les moins favorisés.

 

- Le quatrième et le dernier est d'augmenter la durée de cotisation. C'est le levier le plus utilisé. "Le départ à la retraite est un choix si on ne la prend pas à taux plein". C'est une façon de baisser le montant des pensions sans le dire clairement.

 

 

Notre système français est donc davantage l'héritage de Bismarck. Son système ne peut se développer qu'avec une grande croissance. Les cotisations sociales dépendent de l'emploi combiné au salaire moyen, ce qui constitue la masse salariale.

 

Or depuis 1980, le nombre d'emploi diminue et les salaires stagnent. Les recettes baissent et les dépenses augmentent par le biais notamment de l'indemnisation des chômeurs.

 

Les recettes baissent quand la croissance est inférieure à 2%. Le problème n'est pas l'explosion des dépenses mais l'insuffisance des recettes.

 

Le plan français de sécurité sociale ont quelques caractéristiques institutionnelles propres:

 

1/Les droits sont acquis par le travail. Le travail salarié devient la référence du système alors que dans l'assistance, c'est l'appartenance territoriale qui définit la donnée de référence.

 

La grande peur a été le vagabondage pendant très longtemps. L'encrage dans le territoire permet un contrôle. Pour savoir les nécessités, il faut les connaître. La Sécurité Sociale refuse cette subordination. L'anonymat évite la stigmatisation. Le RMI et la politique de la ville est une compétence territoriale avec une individualisation des prestations.

 

Le système bismarckien a pour référence le travailleur salarié. C'est la citoyenneté sociale, distincte de la citoyenneté politique. Elle vise à favoriser l'intégration de la classe ouvrière à la société globale qui a constitué une grande peur de contrepouvoir dans l'Histoire

 

 

2/Les prestations sont contributives. Il faut cotiser. Autrement, il n'est possible d'avoir accès à la Sécurité Sociale que par la filiation.

Le problème des familles monoparentales des années 1980 est le droit à rien. Les prestations sont fonction du salaire perdu par l'assuré social (garantir un pourcentage du salaire). La Sécurité Sociale n'a pas vocation à redistribuer les ressources. Il s'agit simplement de prolonger le salaire.

 

Notre système d'assurance sociale favorise plus les prestations en espèces que les services sociaux. Elle verse plus d'argent pour payer le recours à une nourrice que pour la création de crèches.

 

De même plutôt que de construire des maisons de retraite, on aide avec des fonds publics pour acquérir une assurance privée, ce qui est le degré zéro de la solidarité.  La réponse de l'Etat est complètement libérale.

 

L'assurance maladie complémentaire existe très peu dans le monde. En France, nous avons la CNAM pour l'utile, la complémentaire et les cliniques privées pour le confort. La logique voudrait qu'on rembourse ce qui est utile à 100% et laisser à la charge des usagers ce qui ne l'est pas (et donc suppression des complémentaires et des mutuelles).

 

L'utilité en France est graduée. Il fallait bien laisser quelque chose au courant mutualiste d'après guerre: 80% pour l'Assurance Maladie, ce qui laisse 20% de parts de marché. C'est un choix politique et historique que l'on paie très cher aujourd'hui avec la création d'inégalités pour l'accès aux soins.

 

La création des Agences Régionales de Santé pose problème. Les Caisses Nationales d'Assurance Maladie détestent les fonctionnaires de L’État (DDAS, DDRAS). Au sein des ARS règnent le droit privé avec des conventions collectives et le droit public, ce qui pourrit l'ambiance pour les agents (différences de rémunérations et de remboursements de missions). Quand on pense "fonctionnaire", on pense à "caisse". Pardon mais dans les "caisses", seul le directeur à l'échelle nationale a un statut de droit public.

 

3/La cotisation sociale est du salaire socialisé. Il n'y a pas de branche en 1945. Trois cotisations existaient:

 

- Les assurances sociales (maladie, maternité)

- Les allocations familiales (versées par l'employeur)

- Les accidents du travail (cotisation également versé par l'employeur)

 

Pierre Laroque, fondateur de la Sécurité Sociale avec le Conseil National de la Résistance ne voulait pas de financement par l'impôt par manque de confiance vis-à-vis de L’État.

 

En ce qui concerne la gestion des intéressés, il ne faut pas la confier à L’État. Dès qu'il y aurait des difficultés budgétaires, la Sécurité Sociale en pâtirait. La motivation était de rompre avec le paternalisme étatique. Toutefois, L’État s'est gardé la fixation des taux de prestations et de cotisation qui sont les principales fonctions.

 

La modèle va échouer progressivement pour un retour dans le giron de L’État depuis les années 1990.

 

Peut-on réaliser les objectifs de Beveridge (les "3U") avec les méthodes de Bismarck?

 

Laroque ne pouvait pas faire table rase d'un héritage. D'une part, l'Alsace Lorraine était allemande. D'autre part, dès les années 1930 des assurances sociales existent pour les ouvriers et les paysans alors que les fonctionnaires bénéficient d'un régime spécifique.

 

Il s'est donc produit une hybridation. Ceux qui avaient des régimes ne voulaient pas se fondre dans l'ensemble. L'idée de corporatisme est bien intégrée puisque la remise à plat remet en cause les groupes visés.

 

La politique sociale est étroitement connectée à la politique macroéconomique. La Sécurité Sociale doit participer au redressement de la démographie française par la création des allocations familiales. La démographie est une grande fierté française.

 

De tradition, les artisans et les commerçants n'ont pas voulu s'intégrer au régime général au fort ascendant syndical du fait de la forte présence de la CGT et du PCF après guerre. La Sécurité Sociale a participé à la construction de certains groupes sociaux professionnels. Par là même, il est étrange de reprocher à un système corporatiste conservateur d'être corporatiste. C'est, de nos jours, l'injure suprême avec "populisme".

 

En terme de groupes, la Sécurité Sociale est très intéressante à étudier. En France, un essor du nombre de postes d'encadrement a vu le jour. Il n'y a qu'en France qu'il existe un groupe "cadres". L'existence du groupe est né au moment où ils se sont dotés de leur propre régime de retraites. C'est en ce sens qu'ils sont corporatistes.

 

Les groupes socioprofessionnels n'existent pas objectivement. Plus on s'éloigne de l'espace social, plus le groupe est improbable. Réformer la Sécurité Sociale est en réalité réformer la société.

 

La vision spontanéiste voudrait qu'il y aurait des groupes objectifs qui se réuniraient spontanément pour défendre leurs intérêts par le fait d'avoir des similitudes. C'est la différence entre la classe en soi (pas encore mobilisée) et la classe pour soi (qui l'est). N'y a t-il plus de classe ouvrière? Si on additionne les employés et les ouvriers, on obtient plus de 50% de la population active. Ce qui permet de dire que ça se justifie sociologiquement. Mais pour construire un groupe, il faut que les gens se reconnaissent dedans. C'est là que le bas blesse désormais.

 

La politique sociale des trente glorieuses est dominée par le Keynesiano-Fordisme (qui est une spécificité du capitalisme avec deux piliers). D'un côté, il y a la doctrine économique qui donne à l’État un rôle capital dans la régulation de l'économie (atteindre le plein emploi) et de l'autre, la consécration de la grande entreprise avec la disparition attendue des petits entrepreneurs indépendants. La Sécurité Sociale a trouvé un environnement particulièrement favorable à son développement avec la généralisation des assurances sociales et l'amélioration des prestations de services. L'enjeu était de créer des régimes spécifiques pour les groupes ne voulant pas s'intégrer au régime général (généralisation dans la diversification).

 

On ne peut pas comprendre l'économie on n'a pas en tête qu'elle est intégrée dans des compromis, des institutions sociales et collectives. La crise de années 1970 (le choc pétrolier) va être la goutte d'eau qui fait déborder le vase et la forme de ce capitalisme va se transformer vers une forme financiarisée qui n'aura plus rien à voir avec le capitalisme d'après guerre.

 

La Sécurité Sociale est une des conditions de réussite des trente glorieuses et de la bonne répartition entre les salaires et les profits dans la valeur ajoutée.

 

Le capitalisme n'est qu'un mot. Il y a tellement de façons de définir l'humeur de notre temps. Il est toujours question de rapports de force sociaux. Et il y a plusieurs capitalismes (allemand, nord de l'Europe, anglo-saxon...).

 

L'objectif d'harmonisation des taux entre les prestations et les cotisations dans tous les régimes était prioritaire. L'amélioration des prestations à travers l'exemple de réaliser l'objectif fou de rembourser à hauteur de 80% les frais médicaux va se heurter à l'opposition des médecins libéraux.

 

Ces derniers ont la "libre entente" avec la fixation libre des honoraires, totalement antinomique de l'assurance maladie. L'incitation présupposée est le renoncement à la libre entente vers une discipline tarifaire. Les médecins pendant 26 ans vont s'y opposer. En 1971, le principe de convention entre les médecins libéraux et la protection sociale va fixer le montant de la consultation. Les médecins en sont toujours à ce niveau et y restent assez opposés, privilégiant la mutualité volontaire.

 

L'objectif de remboursement sera atteint en 1981. Aujourd'hui, il est environ de 75%. Pour améliorer le taux de prise en charge, il a fallu 35 ans. Le Ministère des Affaires Sociales a souvent été faible au niveau financiers et au niveau des éléments y travaillant.

 

Pendant la période 1945-1975, la question de la maîtrise du déficit se pose. La Sécurité Sociale a toujours été contestée par une partie du patronat et une partie de la droite. Le trou de la sécu n'a aucun sens, c'est un argument politique!

 

On ne peut parler de déficit de la Sécurité Sociale pour une raison très simple: la Sécurité Sociale ne dispose pas d'un budget. Une enveloppe est débattue au Parlement mais celle-ci ne fait pas office de budget.

 

Le trou de la sécu permet également de mettre en lumière un supposé problème: celui de l'explosion des dépenses de santé. Pour faire exister un phénomène, il faut le dramatiser. Or, les dépenses de santé augmentent de 3%/an, ce qui se situe dans la moyenne des pays développés.

 

Les recettes n'ayant pas un niveau comparable, un résultat négatif est produit. Le chômage de masse, cette armée de réserve ne cotisant pas aux régimes sociaux est l'un des facteurs aggravants avec la croissance économique lente, qui ne produit des effets positifs que lorsqu'elle dépasse 2%/an, soit quasiment jamais.

 

Il faut s'interroger sur ce qui constitue le cœur des dépenses de santé afin de pouvoir les financer de manière optimale. Les dépenses augmentent du fait de la démographie, du vieillissement mais pour une partie assez mineure contrairement à ce qu'on peut entendre. Les économistes de la santé n'expliquent pas 50% de l'augmentation des dépenses de santé. On appelle ça un résidu. Un résidu de 50%, on peut se permettre de dire que c'est un peu fort.

 

Ce déséquilibre entre les dépenses et les recettes est utilisé de manière stratégique afin d'intégrer petit à petit des logiques privées dans le service et le bien public par le biais des déremboursements, de l'augmentation des tickets modérateurs et le recours par conséquent forcé aux assurances privées et aux mutuelles.

 

La recette dépend de la conjoncture économique alors que la dépense dépend des soins et du recours au domaine médical. Lorsque les pouvoirs publics s'aperçoivent de ce dit "déficit", pourquoi ne pas alors augmenter les cotisations? Le "déficit" est donc construit.

 

Lorsque l'on pense "sécu" on pense "assurance maladie". Ce ne sont pas les mêmes chiffres, l'assurance maladie n'est qu'une branche. Le Gouvernement quand ça l'arrange, mettra en valeur les déficits de l'assurance maladie alors que dans d'autres branches, comme la famille, les résultats sont excédentaires. C'est un artifice comptable, un abus de langage.

 

Une des pistes serait d'augmenter la C.S.G. qui est un impôt (et donc vouée à être redistribué) plutôt qu'une cotisation ou un reste à charge qui amène à creuser les inégalités, déjà trop présentes.

 

En 1967, la création de la CNAM visait à maitriser les dépenses. La raison conjoncturelle est que si la croissance ralentit, les recettes se tassent et les déficits augmentent. Structurellement, la raison est la construction européenne et la compétitivité des entreprises françaises. Les deux conditions de réussite de la protection sociale sont la forte croissance et une certaine autarcie.

 

La notion de bonne gestion de la Sécurité Sociale induit la création de branches pour équilibrer les comptes. En 1967, le paritarisme dans la gestion de la protection sociale est strict (50% de représentation salariales avec plusieurs organisations et 50% de représentation patronale avec une seule organisation). Le patronat était avant cette date surreprésenté à hauteur de 2/3. Il peut toutefois choisir avec quel syndicat travailler pour obtenir la majorité dans la gestion des caisses. Et pour collaborer, il y en a toujours.

 

L'objectif du patronat est de bâtir des coalitions, combattues par les partis de gauche. En 1967, on est en train de changer d'époque; la démographie est importante dans certains régimes mais l'économie évolue,. Les mineurs sont de moins en moins nombreux et beaucoup de pensionnés meurent jeunes. Il faut combler le manque par le régime général, ce qui est un gros litige. Les enfants des mineurs sont devenus salariés (mutation). La rhétorique de l'époque était de dire qu'il était facile de se mettre en retrait du régime général en bonne période et de s'en rapprocher quand ça va mal.

 

La croissance économique va permettre d'étendre la sécurité sociale.

 

En 1974, le premier plan de redressement des comptes entre en vigueur avec l'entrée dans la rigueur budgétaire. La maîtrise des dépenses va être l'objectif majeur dans la politique sociale. La Sécurité Sociale en France, d'inspiration bismackienne, a pour condition nécessaire le compromis keynesiano-fordiste.

 

Le changement de politique remet en cause les fondements de la Sécurité Sociale, sous-produit des transformations économiques. La stagflation arrive. Le courant néolibéral veut casser la vague inflationniste et le rapport entre salariés et employeurs. Le partage de la valeur ajoutée ne se fait plus au profit des salariés mais des employeurs. Ce principe ne peut être mis en place que par un ralentissement de la masse salariale.

 

Dans la période 1982-1986, on observe une perte de 10 points dans la valeur ajoutée des salaires vers les dividendes. Le chômage a été provoqué à l'époque, ce n'est pas une anomalie. Les chômeurs constituent une armée de réserve pour baisser le pouvoir des syndicats et la dynamique prix/salaires.

 

Bien des discours sont tus, on ne les entend pas du type: "les chômeurs peuvent bien crever..." ou "les vieux peuvent bien devenir pauvres..." Pour les étrangers, c'est moins vrai puisque le discours est même sponsorisé.

 

Le problème pour la Sécurité Sociale est éminemment la baisse des recettes. La désinflation compétitive bride la demande interne pour obtenir un différentiel d'inflation favorable. La compétitivité prix est accrue produit un surcroit d'exploitation et donc exporte le chômage chez les voisins. La maîtrise du coût du travail est un souci majeur pour la Sécurité Sociale. 

 

Pourquoi les dépenses évoluent au même rythme voire plus vite que la croissance du PIB?

 

La politique d'exonération de charges sur les bas salaires produit encore moins de recettes. Les systèmes bismarkiens viables supposent le plein emploi.

 

La profitabilité des entreprises ne peut être renversée qu'en faveur des profits et au détriment des salaires. Le salaire est attaqué par la nouvelle conjoncture économique. Tout est défavorable aux recettes. La dernière tentative de relance keynésienne (1974/1976) n'enraye pas le chômage et montre la tendance en politique de toujours appliquer les mêmes recettes du passé.

 

Le plan Barre en 1979 est un plan de rigueur ayant des répercussions sur la Sécurité Sociale. La commission des comptes de la Sécurité Sociale est créée mais la finalité n'est plus l'améliorer des dépenses mais sa maîtrise. L'objectif est d'alerter l'opinion sur la dérive des comptes.

 

La création d'un secteur à honoraires libres est créé pour répondre aux revendications des médecins qui ne s'estiment pas assez payés. Par la même occasion, l'augmentation des tarifs de la Sécurité Sociale est refusée. C'est une forme de privatisation partielle des dépenses de santé.

 

La période d'union de la gauche marque une époque de relance keynésienne avec un ambitieux programme social (création de nouveaux droits sociaux et augmentation des prestations sociales). Ce plan aboutit au même échec que celui de Chirac (creusement du déficit de la balance des paiements et crainte d'une attaque contre le franc).

 

Certains veulent rompre avec la parité avec le Deutschemark et dévaluer la monnaie. À cette période, on enterre Keynes pour de bon. On entre dans le consensus de la rigueur monétariste. La maîtrise des déficits publics devient un impératif de l'action publique. La transformation liée à la construction européenne pose d'autres données sur la table.

 

Le social contenu dans les traités européens relève de la compétence des états membres. L'Union Européenne et les institutions n'ont pas de compétence en matière sociale et cela répond au principe de subsidiarité. Toutefois la construction européenne a des effets sur la politique sociale.

 

Il ne peut y avoir d'impact direct. Il ne peut y avoir d'harmonisation sociale par le haut. La construction européenne est commerciale et est basée sur le marché d'abord.

 

Tout ce qui est de l'ordre de législation du travail, des éléments d'attractivité ou de la compétitivité nationale est du ressort des états. Or quand il n'y a pas de coordination au niveau européen sur ce qui serait une protection sociale de base, il y a un tentation au dumping social.

 

En 1993, les critères de convergence de Maastricht (déficits publics inférieurs à 3% et moins de 60% de taux d'endettement) réduit la marge de manœuvre des pays membres.

 

La Sécurité Sociale participe à l'accroissement des déficits publics. La dette sociale est intégrée à la dette publique. Les dépenses sociales pour deux tiers sont composées des dépenses de santé et des retraites.

 

L'Union Européenne dit qu'il faut agir dans le sens de la réduction des déficits sociaux en exerçant ainsi une forte contrainte et un interventionnisme indirect. Ainsi, la jurisprudence CJCE considère que des règles sociales trop différentes d'un pays à un autre est un obstacle à la mobilité des travailleurs.

 

Ce cadre va mettre en concurrence directement les systèmes de santé entre eux. Un processus d'engrenage va se mettre en place  L'UE va se mêler du social comme un effet induit.

 

La CJCE est régulièrement saisie d'affaires qui mettent en cause les trop grandes disparités sociales entre les états membres.

L'UE se mêle du contenu des politiques et en 2000, à Lisbonne, les états membres se mettent d'accord sur un nombre d'indicateurs de performances. La performance devient un jugement de valeur. Le social est vu comme un fardeau pour la politique économique et au mieux elle doit être au service de la compétitivité économique.

 

On doit passer à un État social qui doit favoriser le retour sur le marché du Travail des individus (augmentation de l'employabilité).

L'idée reçue selon laquelle le RSA est un luxe est un leurre totale. C'est le plus petit montant d'Europe en termes de prestations eu égard de l'écart avec les revenus du travail. Les chômeurs sont tellement contents qu'ils se suicident trois fois plus que les autres.

 

En résumé, ces ajustements où se mêlent réformes structurelles et conjoncturelles n'ont qu'un seul but; le démantèlement organisé de notre système de santé et plus largement de notre système social.

 

 

 

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